Au-delà d’être la capitale de la Turquie, Ankara possède un pouvoir de représentation unique dans le domaine de l’architecture. Les fondations de l’architecture turque moderne ont été posées dans cette ville ; chaque rue, chaque façade renferme le récit d’une époque, un choix idéologique ou une forme intemporelle. Lorsque les mots « Ankara » et « architecture » se rejoignent, il ne s’agit pas seulement de bâtiments, mais de la transformation d’une nation, d’une quête esthétique et d’un idéal d’urbanisation planifiée.
L’histoire architecturale d’Ankara offre un récit riche en strates, depuis la fondation de la République jusqu’à aujourd’hui. En se promenant dans les rues de la ville, on peut observer à la fois les lignes épurées du modernisme et les détails raffinés de l’architecture turque traditionnelle. L’architecture d’Ankara incarne à la fois les idéaux du passé et la vision du futur.
1. La mémoire architecturale de la République : Une nouvelle capitale
Avec la proclamation de la République en 1923, Ankara fut déclarée capitale du nouvel État. Cette décision représentait non seulement une révolution politique, mais aussi une révolution architecturale. Ancienne ville ottomane, Ankara fut rapidement transformée en une capitale planifiée et moderne. Des urbanistes et architectes venus d’Allemagne et d’Autriche jouèrent un rôle central dans cette planification.
Le Premier Mouvement National d’Architecture marqua cette période. Les éléments de l’architecture ottomane et seldjoukide furent fusionnés avec des lignes modernes. Les arches classiques, les colonnes simples et les plans symétriques représentaient une vision tournée vers l’avenir, tout en restant ancrée dans les racines du passé.
Bâtiments emblématiques :
- Le deuxième Parlement turc (aujourd’hui Musée de la République)
- Musée ethnographique
- Gare d’Ankara



Ces bâtiments n’étaient pas seulement fonctionnels, ils symbolisaient aussi le pouvoir représentatif de la République. L’identité architecturale d’Ankara fut alors façonnée par une idéologie forte.
2. La contribution des architectes étrangers et la période moderniste
Dans les années 1930, Ankara devint un véritable laboratoire de design pour les architectes venus d’Europe. Fuyant l’Allemagne nazie, de nombreux intellectuels – dont des architectes – trouvèrent refuge en Turquie. Parmi eux figuraient Bruno Taut, Ernst Egli et Clemens Holzmeister.
Les bâtiments construits à cette époque se distinguaient par leur conception fonctionnelle et épurée. Avec l’essor des structures en béton armé, de nouveaux types de bâtiments publics, écoles, hôpitaux et administrations furent construits. Ces projets étaient en lien direct avec les mouvements modernistes et le Bauhaus en Europe de l’Ouest.
- Faculté de Langue, Histoire et Géographie (Taut) et Lycée İnönü à Cebeci
- Projets du ministère de la Défense nationale et du Parlement (Holzmeister)
- Lycée Gazi (Ernst Egli)
- Lycée İnönü à Cebeci (Bruno Taut)
- Ministère de la Défense nationale (Clemens Holzmeister)
- Assemblée nationale (Holzmeister)

Cette période a vu la fusion des lignes modernistes épurées avec une approche urbanistique fonctionnelle. L’histoire architecturale d’Ankara prit alors une dimension internationale.
3. 1950–1980 : L’essor des appartements et des nouvelles typologies résidentielles
Au fil des années, l’architecture publique des débuts de la République laissa place à une urbanisation centrée sur la production de logements. Avec l’explosion démographique à partir des années 1950, les immeubles d’habitation se généralisèrent à Ankara. Des quartiers comme Bahçelievler, Emek, Küçükesat et Cebeci comptent encore de nombreux immeubles témoins de cette époque.
Éléments architecturaux caractéristiques :
- Balcons spacieux et espaces fleuris
- Menuiseries et volets en bois
- Halls d’entrée avec sol en marbre
- Décorations en mosaïque sur les façades
Des coopératives de logement soutenues par l’État offraient également un confort accessible à la classe moyenne. Cette époque valorisait les modèles de vie collective plutôt que les solutions individuelles.
4. Ankara aujourd’hui : Technologie, simplicité et verticalité
Aujourd’hui, Ankara se distingue par une diversité architecturale croissante, tant dans les projets publics que privés. Les campus universitaires, les nouveaux projets résidentiels et les zones de transformation urbaine sont particulièrement remarquables.
Exemples marquants d’architecture contemporaine :
- Campus de l’Université TOBB d’Économie et de Technologie
- Faculté d’Architecture de l’Université Bilkent
- Technopôle de l’Université technique du Moyen-Orient (METU)
- Complexes résidentiels de luxe à Oran, İncek et Yaşamkent
La montée en puissance des cabinets d’architectes transforme Ankara en un centre de production de pensée architecturale, et non plus seulement d’application.
5. Héritage architectural à l’échelle des rues : Ankara invisible
À Ankara, outre les grands projets, de nombreuses perles architecturales sont cachées dans les rues secondaires.
- Façades d’immeubles datant de 1950 à 1970
- Motifs décoratifs sur les garde-corps de balcons
- Escaliers, portes d’entrée et détails en mosaïque à valeur patrimoniale
Les ruelles et quartiers discrets d’Ankara regorgent de trésors architecturaux restés dans l’ombre des bâtiments officiels. Les immeubles construits entre 1950 et 1970 constituent une mémoire quotidienne de la ville. Les détails de façade, cages d’escalier et ferronneries témoignent d’un langage architectural à petite échelle, tout à fait caractéristique.
Les environs de la 7e rue à Bahçelievler, les immeubles de deux à trois étages à Ayrancı ou le quartier de Kolej en sont des exemples riches. Bien que beaucoup de ces bâtiments soient menacés de démolition, leur préservation permettrait de transmettre un précieux patrimoine urbain aux générations futures.
Clé pour comprendre l’architecture à Ankara
La relation entre "Ankara et l’architecture" est essentielle pour comprendre comment un État est structuré, représenté et comment il conçoit ses espaces de vie. Chaque bâtiment de cette ville n’est pas seulement une fonction, mais aussi un témoignage de son époque. À Ankara, l’architecture est une langue vécue, au-delà du visible.
L’avenir de l’architecture à Ankara doit s’inscrire dans une logique plus durable, plus accessible et plus inclusive. Car cette ville est l’une des meilleures démonstrations que l’architecture n’est pas qu’esthétique : elle est aussi culturelle, sociale et idéologique.